Depuis plus de 15 ans de lois successives pour libéraliser le marché de l’assurance emprunteur et autant d’années à freiner des quatre fers pour conserver les contrats, les banques ont enfin été mise à l’amende pour leurs mauvaises pratiques.
La DGCCRF vient de sanctionner 4 banques pour n’avoir pas respecté la réforme de 2022 sur l’assurance de prêt immobilier, également appelée « Loi Lemoine ». En cause, les délais de réponses imposés par la loi qui n’ont pas été respectés. Le CIC Est, la BRED Banque Populaire, le Crédit Agricole Ile-de-France et la Caisse d'Epargne de prévoyance d'Ile de France devront donc s’acquitter de près d’un million d’euros d’amende et afficher leur sanction sur leur site internet.
Pourquoi aucune sanction jusqu’alors ?
Depuis 2016, la législation prévoyait des sanctions pour les banques ne respectant pas le droit de substitution de l’assurance emprunteur[1], mais ces dernières n’ont jamais été appliquées…
L’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) en charge de contrôler les pratiques commerciales des banques et assureurs relatives à l'assurance emprunteur, s’était contentée de rappeler à l’ordre certaines banques qui contrevenaient au libre choix de l’assurance emprunteur, tout en veillant à conserver leur anonymat.
La loi Lemoine a changé le système de sanctions afin de le rendre plus efficace et a défini des peines administratives, directement applicables par la DGCCRF, en cas de non-respect du dispositif. En cas de non-respect des dispositions de la loi, La banque ou l’assureur sont ainsi passibles d’une amende administrative allant jusqu’à 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale.
4 banques sanctionnées pour non-respect de la loi Lemoine
Entre septembre 2022 et mai 2024, les services de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) ont mené des contrôles de la bonne application du droit de changer d’assurance emprunteur auprès de différents groupes bancaires.
Ils ont alors constaté des dérives sur l’application de la loi Lemoine et notamment sur le délai de réponse et d’émission de l’avenant qui entérine le changement d’assurance emprunteur et la date de substitution des contrats.
Le constat est le même pour les quatre banques sanctionnées. Le gendarme de la concurrence leur reproche de « ne pas avoir répondu dans un délai de dix jours aux demandes des assurés concernant le changement d’assurance emprunteur » ou de « n’avoir pas transmis l’avenant au contrat de prêt dans ce même délai en cas d’acception », et ce pour « un nombre significatif de dossiers ».
La DGCCRF a donc prononcé, à l'encontre de ces groupes bancaires, des amendes administratives de montants variables assortis d’une obligation de publication de la sanction sur leur site internet.
Détails des sanctions
| Prêteur | Montant de l'amende | Période de contrôle |
| Caisse d’Épargne Île-de-France | 80 000 € | 09/2022 à 07/2023 |
| BRED Banque Populaire | 298 000 € | 10/2022 à 12/2023 |
| Crédit Agricole Paris Île-de-France | 323 518 € | 01/2023 à 03/2024 |
| CIC Est | 196 000 € | 08/2023 à 05/2024 |
Les sanctions sont visibles sur le site de la DGCCRF en date du 15 octobre 2025.
Les amendes doivent être mises en regard des volumes gérés par chacune de ces caisses. A ce titre, les amendes de la BRED et du CIC sont bien plus significatives que celle du Crédit Agricole (l’un des plus gros prêteurs en France) et reflètent un non-respect des délais de réponse et d’émission de l’avenant bien plus fréquent.
Ces sanctions doivent aussi être mise en parallèle avec les périodes de contrôle de chaque établissement. Certaines banques ont été contrôlées immédiatement après l’entrée en vigueur de la résiliation infra-annuelle, ce qui a pu les engorger dans une période de préparation incomplète (Caisse d’Epargne et BRED) tandis que le CIC Est a été contrôlé plus récemment et avait le temps d’optimiser ses processus internes.
L’analyse de SECURIMUT
Un signal fort et dissuasif
Le libre choix de l’assurance emprunteur est un droit fondamental pour tous les emprunteurs, inscrit dans la loi. Après des années à restreindre ce droit, ces premières sanctions constituent un signal fort envoyé aux banques et marquent la fin de leur impunité. Les établissements bancaires vont devoir se conformer aux règles applicables, au même titre que tous les acteurs du marché.
Pour autant, ces amendes restent modestes au regard des volumes financiers en jeu. Les banques sont sans doute bien plus sensibles à leur image ébréchée par toute la mauvaise presse qui en découle et par l’obligation de publier cette sanction sur leur site internet.
Ces décisions constituent un précédent important pour la régulation du marché. En imposant la publication des sanctions, la DGCCRF introduit un mécanisme de transparence inédit, incitant les établissements à renforcer leur conformité.
Une amélioration des pratiques depuis la loi Lemoine
La volonté des pouvoirs publics de mettre fin aux pratiques dilatoires des banques est louable. Mais ces sanctions arrivent un peu tard…
Depuis l’entrée en en vigueur de la loi Lemoine, les mauvaises pratiques autrefois constatées ont reculé.
Il faut dire que cette réforme a intégré des mesures opérationnelles pour faciliter la résiliation à tout moment : précision sur les délais de réponse et d’émission de l’avenant, obligation d’expliquer les motifs de refus, devoir d’information annuelle… Tout cela a permis de simplifier le changement d’assurance emprunteur.
Les pratiques dilatoires qui étaient fréquentes avant la réforme sont devenues moins fréquentes. Nous observons une amélioration du traitement des demandes de changement d’assurance emprunteur tant en termes de délais que de qualité de réponse. Seules quelques banques semblent toujours récalcitrantes à appliquer la loi, comme le Crédit Mutuel - CIC.
L’assurance emprunteur : un marché captif des banques
Au-delà des sanctions ponctuelles, ces constats mettent en lumière un déséquilibre plus profond du marché : l’assurance emprunteur représente plus de 7 milliards d’euros de primes annuelles en France dont 84 % sont encore détenus par les banques[2] malgré des produits souvent fortement margés.
Pourtant, en changeant son assurance de prêt pour un contrat alternatif, un emprunteur peut facilement économiser plusieurs milliers d’euros sur la durée du crédit, tout en conservant des garanties équivalentes. Même sur un crédit ancien, l’opération peut être intéressante pour l’emprunteur.
C’est pourquoi, depuis plus de 10 ans, le législateur est intervenu à plusieurs reprises afin d’ouvrir le marché de l’assurance de prêt en confirmant le libre choix de cette assurance tant au moment de la souscription du crédit (loi Lagarde), qu’une fois celui-ci signé (loi Hamon en 2015, Amendement Bourquin en 2018 et loi Lemoine en 2022).
Force est de constater que malgré ces textes, le marché de l’assurance emprunteur ne s’est pas libéralisé comme on pouvait l’espérer. Même la résiliation infra-annuelle en vigueur depuis 3 ans déjà n’a fait que très peu bouger les stocks.
Pire, les tensions sur le marché du crédit ont permis aux banques de restreindre encore la délégation d’assurance avant la signature de l’offre de prêt. En effet, quel est le pouvoir de négociation d’un emprunteur quand il craint de ne pas pouvoir obtenir son crédit ?
Ces sanctions nous rappellent donc qu’il faut rester vigilant. Le libre choix de l’assurance emprunteur est un droit fondamental pour tous les emprunteurs. Tant que chaque assuré n’aura pas la possibilité d’exercer librement ce droit, l’action d’information et de défense des consommateurs restera indispensable.
Rappel des principales mesures la loi Lemoine
La loi Lemoine de 2022 a simplifié le libre choix de l’assurance de prêt immobilier en instaurant la faculté de changer son contrat à tout moment pendant le crédit. Cette réforme a intégré des mesures très opérationnelles :
- précision sur les délais de réponse et d’émission de l’avenant,
- obligation d’expliquer l’intégralité des motifs de refus ,
- devoir d’information annuelle,
- etc…
Ces mesures ont permis d’améliorer la fluidité des changements d’assurance, au bénéfice direct des emprunteurs.
Bon à savoir : En cas de violation de ces règles, la loi prévoit une sanction administrative pouvant atteindre 3000 € pour une personne physique et 15000 € pour une personne morale.
[1] - Du 01 juillet 2016 au 01 juin 2022, une sanction de 3000 € était prévue dans l’article L341-39 du Code de la consommation mais était jugée inapplicable. Cet article a été abrogé par la loi Lemoine (LOI n°2022-270 du 28 février 2022 - art. 7) et remplacé par un dispositif de sanctions prévu à l’article L. 313-31 du Code de la consommation.
[2] Bilan du CCSF sur l’assurance emprunteur de 2023 : % des contrats